Interview de Iris Siret : Comprendre le comportement des consommateurs en ligne

Iris, pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes venue à vous spécialiser dans l'analyse du comportement des consommateurs en ligne et en quoi cela complète vos recherches en marketing digital ?

J'ai toujours été fascinée par les changements majeurs qu'avait généré la transformation numérique sur les comportements d'achat, aussi bien en termes de connaissance des marques que de partage d'expériences ou encore d'interactions marques-consommateurs.

Lorsque j'ai décidé de me lancer dans un doctorat, c'est naturellement vers cette thématique que je me suis tournée. J'ai choisi de faire ma thèse sur les motivations à la rédaction d'avis en ligne. Ce sujet est au cœur des enjeux des managers en marketing digital, particulièrement pour les entreprises en BtoC.

Travailler sur l'analyse du comportement des consommateurs en ligne, c'est utiliser la mine d'or de données que fournit le marketing digital et qui lui permet de se perfectionner. Le marketing digital intervient donc à la fois en amont et en aval de cette analyse.

En tant qu'enseignante-chercheuse, comment parvenez-vous à équilibrer théorie et pratique dans l'intégration de l'analyse des données comportementales dans les programmes académiques ?

Ayant travaillé cinq ans dans le marketing digital en entreprise avant de devenir enseignante-chercheuse, j'ai particulièrement à cœur de ne jamais opposer théorie et pratique. Les deux peuvent et doivent s'alimenter continuellement.

Concrètement, dans mes recherches sur les comportements en ligne, je collabore régulièrement avec des entreprises qui me font part de leurs défis. Si ceux-là correspondent à des voies de recherches porteuses alors nous construisons ensemble un protocole de recherche qui permet de nourrir mon travail mais aussi de répondre à leurs problématiques.

Concernant mon enseignement, je mobilise systématiquement des exemples issus d'entreprises variées pour illustrer concepts, stratégies et impacts de l'analyse de données.

Pouvez-vous partager un exemple concret d'une stratégie marketing qui a été transformée grâce à une analyse approfondie des comportements des consommateurs sur les plateformes numériques ?

En analysant les comportements de ses clients sur mobile et ordinateur, les équipes de Sephora ont découvert qu'elles cherchaient des conseils personnalisés avant d'acheter. En réponse, la marque a développé son Virtual Artist, un outil de maquillage en réalité augmentée dans son app. Cette innovation a augmenté le temps passé sur l’application et boosté les conversions en ligne.

Du point de vue analytique, quels sont les indicateurs clés que vous utilisez pour évaluer l'efficacité des campagnes marketing basées sur les comportements en ligne ?

L'efficacité se mesure différemment en fonction des objectifs d'une équipe marketing.

Je préconise d'utiliser des indicateurs liés aux ventes, comme le taux de conversion, des indicateurs d'engagement, comme le taux de clic ou le nombre de partages, et des indicateurs relationnels, comme le Net Promoter Score.

En observant les tendances actuelles, quels changements majeurs anticipez-vous dans la manière dont les entreprises utilisent les données comportementales pour influencer le comportement des consommateurs dans les cinq prochaines années ?

On peut s’attendre à une personnalisation extrême et en temps réel grâce à l’intelligence artificielle. Certaines marques utilisent déjà l’IA pour adapter offres et contenus instantanément selon le contexte et les préférences individuelles. Je pense que ces marques seront de plus en plus nombreuses.

La prise de conscience sur la valeur des données comportementales a donné naissance à de nouveaux métiers en entreprise. Ces données sont donc de plus en plus utilisées pour comprendre mais surtout anticiper les besoins, désirs et intentions des consommateurs, permettant d’agir avant même la demande du client.

Enfin, il me semble que les entreprises évoluent vers une intégration omnicanale fluide qui sera bientôt la norme. Les marques relieront données en ligne et hors ligne pour offrir des expériences cohérentes et personnalisées sur tous les points de contact du parcours client.

Pourriez-vous discuter des défis éthiques liés à l'analyse des données de comportement en ligne ? Comment enseignez-vous ces considérations à vos étudiants ?

Travailler sur les données c'est accepter de traiter quelque chose d'extrêmement précieux mais aussi de particulièrement sensible.

Le premier défi qui me vient à l'esprit est évidemment celui du respect de la vie privée de chaque individu. Dans ce domaine, la CNIL fournit un cadre et des ressources précieuses.
La gestion des biais algorithmiques constitue un autre défi de taille. C’est la tendance des algorithmes à générer des résultats systématiquement préjudiciables pour certains groupes. Les algorithmes se basent sur des données qui reflètent les groupes humains avec leurs imperfections, par exemple avec leurs stéréotypes. Les décisions basées sur ces données peuvent donc elles-mêmes s’appuyer sur, voire renforcer, ces stéréotypes. En marketing, on observe souvent un biais de représentation. Par exemple, si ma population cible comporte 30% d’un groupe et si ce groupe représente 80% des répondants à mon étude marketing alors cela aura nécessairement un impact sur mes résultats. Ma prise de décision risque de favoriser ce groupe au détriment des autres.

En cours, je rappelle systématiquement à mes étudiants que le marketing est un outil dont il appartient à chacun de faire un usage éthique, responsable. Nous travaillons sur des cas pratiques afin qu'ils assimilent la réglementation posée par la CNIL. J'anime aussi des débats pour qu'ils prennent conscience des enjeux qui dépassent le cadre légal. C'est d'autant plus facile de porter cette voix aujourd'hui que les jeunes consommateurs sont en demande de marques plus engagées et porteuses de valeurs.

Quelles sont les qualités essentielles que vous encouragez chez vos étudiants pour qu’ils deviennent des spécialistes accomplis en marketing digital, capables de tirer parti des données de comportement des consommateurs ?

La première qualité que je les encourage à cultiver est l'humilité. Je ne pense pas que l'on puisse être un expert du marketing digital sans une profonde humilité. Celle qui pousse à se rappeler qu'aucun savoir n'est immuable et à se tourner vers son terrain pour le questionner. Quand on travaille dans une structure depuis plusieurs années, il est facile de penser que l'on "sait", que l'on "connait" sa cible. Or il faut avoir conscience qu'elle change sans cesse et que notre vision subjective d'elle change aussi, à la lumière de nos propres croyances, désirs et valeurs. Travailler sur des données comportementales suppose d'accepter de vivre cette incertitude pour aller à la recherche de réponses.

La seconde qualité en découle naturellement. C'est la curiosité. Un traitement de données présente des chiffres mais n'explique ni comment, ni pourquoi. Il est donc nécessaire de cultiver sa curiosité afin de dialoguer avec les consommateurs, consulter la littérature scientifique, tester des hypothèses afin de répondre à ces questions fondamentales.

Pour plus d'informations : https://www.univ-lyon2.fr/

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